Koyo Kouoh : hommage à une figure majeure de l’art contemporain africain

Par Jessica Makaké

Le monde de l’art est en deuil. Le 9 mai 2025, Koyo Kouoh s’est éteinte à l’âge de 58 ans. Sa disparition laisse un silence assourdissant dans le paysage de l’art contemporain mondial. Visionnaire, militante, curatrice, bâtisseuse : Koyo Kouoh fut bien plus qu’une commissaire d’exposition. Elle fut une force, une passeuse, une voix libre. Celle qui aurait dû présider la Biennale de Venise 2026 , première femme africaine nommée à ce poste, laisse une empreinte indélébile sur les récits artistiques de notre temps.

Une trajectoire transversale, entre continents et convictions

Née à Douala, au Cameroun, Koyo Kouoh rejoint sa mère en Suisse à l’adolescence. Formée à la banque et au commerce, elle travaille comme assistante sociale auprès de femmes migrantes avant de s’immerger dans l’univers de l’art. Une bifurcation radicale, mais fidèle à sa nature : refusant les assignations, elle construit sa pensée et son parcours hors des cadres.

Mère de quatre enfants, elle quitte Zurich pour Dakar en 1996. Là, elle fonde en 2008 RAW Material Company, un centre d’art et de savoir qui deviendra l’un des lieux les plus influents du continent. Un espace critique, curatorial, éducatif — et radicalement libre.

Maisons Africaines

Une pensée panafricaine et pandiasporique

Pour Koyo Kouoh, penser l’art africain, ce n’était pas seulement défendre une esthétique. C’était poser un acte politique, réinscrire les récits africains dans l’histoire mondiale de l’art, dénoncer les stéréotypes et créer des géographies affectives et symboliques à la hauteur de la richesse noire.

Elle parlait des “géographies noires” avec ferveur, reconnaissant les influences de la culture noire “des États-Unis au Brésil”, en passant par l’Afrique du Sud, le Sénégal, ou les diasporas d’Europe. “Il faut arrêter d’avoir une image dépréciée de nous-mêmes”, répétait-elle. “Il n’y a rien de diminutif dans l’adjectif africain.”

Sa nomination à la Biennale de Venise 2026 fut une consécration et une évidence. “Créer une exposition qui, je l’espère, aura un sens pour le monde dans lequel nous vivons, et plus encore pour le monde que nous voulons construire” : telle était sa promesse. Elle ne pourra l’honorer — mais l’intention, elle, survivra.

Une œuvre curatoriale libératrice

Son travail à la tête du Zeitz MOCAA, au Cap, a profondément transformé l’institution. En six ans, elle l’a hissé au rang de musée de référence de l’art africain contemporain. Sous sa direction, des expositions audacieuses ont vu le jour, à l’image de « When We See Us » (Bozar, Bruxelles, 2025), qui réunissait plus de 150 œuvres pour explorer la peinture figurative panafricaine dans toute sa diversité.

“Nos histoires sont tellement sous la pression de cette trinité : esclavage, colonisation, apartheid, qu’il faut se libérer de cette temporalité”, affirmait-elle. À travers ses projets, elle œuvrait pour une libération des imaginaires.

Maisons Africaines

Une mémoire incarnée, une voix inoubliable

Koyo Kouoh avait reçu en 2020 le Prix Meret Oppenheim, la plus haute distinction artistique suisse. Le New York Times la qualifiait dès 2015 de “l’une des plus importantes conservatrices d’art d’Afrique”. Mais au-delà des honneurs, elle portait un combat : “Je ne suis fondamentalement pas intéressée par le profit”, disait-elle.

Otobong Nkanga parle d’une “source de chaleur, de générosité et de brillance”. La photographe Sarah Waiswa salue une “leader culturelle qui a transformé le monde de l’art mondial”. Nous ne pourrons dire mieux, si ce n’est merci.

Pour conclure, l’essentiel

Koyo Kouoh n’a pas seulement ouvert des portes, elle a redessiné les murs. Son œuvre est un manifeste. Sa voix, une archive vivante. Elle nous a appris à “ne pas quémander une place à la table” mais à en construire une nouvelle.

À celles et ceux qui, en Afrique ou ailleurs, rêvent de beauté, de pensée critique et d’espaces où créer, elle laisse cette leçon : l’art est une affaire de vérité.

Merci, Madame Kouoh.